Velly         texte “Les Visionnaires”  2012
 

previous                          next

See the pictures of the opening on March 17th 2012 at the Panorama MuseumPhotos_expo_les_visio.html
voir l’exposition
Les Visionnaires
mars juin 2012
au Musée PanoramaPhotos_expo_les_visio.html
vedere la mostra in corso al Museo Panorama
Les Visionnaires
marzo giugno 2012Photos_expo_les_visio.html
Acheter le catalogue                     € 45 
Acquistare il catalogo mailto:contact@velly.org?subject=Catalogue%20Visionnaire
prolongé jusqu’au 9 septembre

L’art visionnaire de l’Ecole française de gravure - en tant que mouvement artistique des années 1960-1990 (et qui perdure encore aujourd’hui chez certains de nos artistes), n’a jamais été un mouvement officiel, organisé, unifié : il est sans contours nets. Rêves et cauchemars aux paysages infinis, l’absurde, l’impossible, l’indicible et l’invisible se côtoient dans cette école française de gravure, où les artistes rivalisent de bravoure, de virtuosité technique, de minutie, de clins d’oeil aux maitres qui les ont précédé. En tout cas, l’art visionnaire, comme Michel Random le soulignait dans son livre, et comme le démontre justement Maxime Préaud dans la préface du présent ouvrage, ne date pas d’hier.


Cependant, aujourd’hui, trois facteurs significatifs lient ensemble ces différents artistes contemporains : le premier est qu’un bon nombre d’entre eux présentés dans cette exposition ont suivi les cours de la Ville de Paris donnés par la figure marquante de Jean Delpech1; le deuxième est la relation plus ou étroite entretenue avec le “pape” de l’art visionnaire, le regretté Michel Random, car pratiquement tous figurent dans le livre de ce dernier, l’Art Visionnaire2. Enfin, tous ou presque ont exposé sur les murs de la galerie Bernier puis celle de Michèle Broutta 3 toutes deux à Paris, derniers grands temples de la gravure. Rendons ici hommage à ses remarquables femmes galeristes et éditrices qui ont défendu avec passion ce mouvement à l’époque ou il battait son plein.


Jean-Pierre Velly (1943-1990) n’a pas été l’élève de Delpech4. Il figure cependant en bonne place dans l’Art Visionnaire de Random5 et Michèle Broutta a organisé une exposition rétrospective des gravures de l’artiste en 1983.


Mince, de petite taille, un casque de cheveux noirs et bouclés, le regard perçant, Jean-Pierre Velly est un personnage aux facettes multiples. Nombreux ceux qui ont connu son côté sombre, mélancolique, voir angoissé. Moins nombreux ceux qui ont eu la chance de le connaitre sa face solaire, drôle, ironique, fin, et parfois saugrenu, agité, énorme.

L’ambivalence est un trait fondamental dans l’oeuvre et la personnalité de l’artiste. Bipolaire, Velly oscille entre l’ombre et la lumière : entre le coucher et le lever du soleil, l’artiste travaille de nuit, seul, dans cette soupente d’atelier qu’il occupe dans une ruelle de Formello, petit bourg (à l’époque) près de Rome. Le silence de cette campagne d’alors était assourdissant. Velly aime travailler de nuit, d’ailleurs l’unique fenêtre donnant sur l’extérieur est fermée en permanence par d’épais volets de bois. Dans cet atelier, on y trouve tous les modèles de l’artiste : crânes, insectes, fleurs séchées, outils par centaine peuplent cet univers enfumé de Gitanes...


*

Velly lui-même admet ses rattaches à une longue chaine de graveurs: européens essentiellement de Dürer à Rembrandt, de Duvet à Callot, de Bresdin à Meryon, d’Ensor aux Surréalistes, sans négliger l’art extrême-oriental.


Et il est aussi vrai que cet art visionnaire est personnel à Velly, il est aussi aux autres artistes. Comprendre les intentions de l’artiste nous paraissant un sujet digne d’intérêt, nous ferons appel aux paroles mêmes de Velly, enregistrées par Michel Random à l’occasion du film documentaire l’Art Visionnaire de 1976 (témoignage d’autant plus précieux que les trop brèves minutes consacrées à Velly constituent les seules images animées connues de l’artiste)6. Dans la séquence tournée à Formello, Velly explique un sentiment profond qu’il résume ainsi : “l’homme n’est peut-être pas comme on l’a toujours cru, le centre de la création, le summum… le maître du monde.” Il dénonce “cette déification de l’homme, cette suprématie de l’homme sur la nature, sur les objets, sur les choses. “Nous sommes les plus forts, nous sommes l’esprit qui pointe, notre civilisation est la plus haute”… Cela, dit-il, lui “reste en travers de la gorge.” L’artiste va s’attache à démontrer une égalité fondamentale de ce qui est (pas seulement de ce qui est vivant): homme, insecte, caillou. Et ceci, “non pas pour descendre l’homme, mais peut-être pour revaloriser l’insecte…” L’art visionnaire comme le conçoit Velly naît d’une volonté d’éveil, plutôt que de la volonté de rêver, qui relève du domaine du fantastique.


Rappelons que le monde inscrit dans les cuivres de Velly est proprement apocalyptique : le ciel obscurci par une fumée épaisse dégagée par d’infinies cheminées, le paysage et les hommes sont emportés comme par un simoun7; les villes sont détruites, des tas d’ordures s’amoncellent. Grotesques atterrés, l’humain, réduit le plus souvent à la taille de fourmi, fuit hagard au milieu de paysages indifférents. Aurait-il décrit une civilisation dont il avait justement compris la caducité, proprement suicidaire ? Trente ans après l’exécution de ces gravures, ces images nous rappelle à une cruelle d’actualité. Tous les signaux sont au rouge : dérèglement du climat, crises financières, économiques, sociale, et technologiques au Nord; crise démographique, développement anarchique, irresponsable au Sud. Et si l’art visionnaire de Velly n’était tout simplement pas de la pré-science ? Cette vision d’épouvante pourrait être bien notre avenir proche. Qui aujourd’hui serait capable de démentir un scénario catastrophe prévu à plus ou moins court terme ? Peut-on raisonnablement croire que la situation actuelle va s’ajuster harmonieusement, par la loi des marchés, ou bien par le jeu de la démocratie ? Ne s’attend-on pas d’un jour à l’autre à une chute vertigineuse de notre civilisation, véritable colosse aux pieds d’argile ? Les scènes apocalyptiques de Velly rejoignent celles décrites par les millénaristes dans leurs visions furieuses du futur. Et je ne serai pas surpris si ces visions d’enfer ne seront pas bientôt notre lot quotidien.


Velly cependant est clair; dans le même entretien, il ajoute : “Je ne prétends pas faire de futurologie, je n’ai pas la prétention d’expliquer l’avenir, ni le passé, ni même le présent”, dit-il. Il ajoute : “Ce n’est pas tellement une critique de la société de consommation ou de pollution. [Cependant] … plus j’avance, plus c’est comme dans mes gravures…”


En 1979, il précisera le fond de sa pensée8 : certes, comme il le dit lui-même, “si j’avais été bon avec les mots, j’aurais été écrivain ou poète.” ... “Mais qu’est ce donc que l’art visionnaire ? Ce n’est pas de prévoir le futur, c’est de découvrir la vérité, ta vérité.” Cela tient du mysticisme. “Tous les visionnaires sont des mystiques” affirme-t-il. “Mais qu’est ce que le mysticisme ? C’est rentrer à l’intérieur de soir, c’est descendre dans ces propres enfers. Et c’est la chose la plus dure du monde !”


L’introspection aussi profonde, sévère et honnête que possible est la clef qui dévoile la vérité universelle, vérité cachée, vérité nécessaire, vérité source du véritable dialogue entre les hommes. Il y a là un cheminement que l’on pourrait qualifier de proprement alchimique9. Et cette recherche de la vérité est une constante chez Velly, il y attache le plus grand prix et ce depuis sa jeunesse, comme on peut le constater dans des lettres datées du début des années 1960. Cette descente intérieure est le chemin de croix que l’artiste visionnaire doit emprunter pour accéder à la vision d’ensemble du monde, condition selon Velly à l’éveil, à l’invention d’un langage qui permet un véritable dialogue, à la communication avec autrui. Car sans cela, “A quoi ça sert ? Rien ne sert à rien !”


Il s’agit donc par le truchement de l’activité artistique de se sonder soi-même le plus honnêtement possible, c’est un long cheminement et les écueils sont nombreux et l’illusion partout. Le minutieux travail du graveur orfèvre lui permet justement cette méditation. Velly aurait-il justement choisi cette voie afin de pouvoir mieux opérer cette introspection ?


Chez Velly comme chez les autres graveurs, on s’épuise à chercher les trouvailles tant les rimes, charades, rébus, palindromes et citations abondent dans cet art. Invitons donc le spectateur à prendre son temps pour engager un possible dialogue avec l’artiste à travers le miroir de l’oeuvre d’art. La tenue de cette exposition aura aussi le mérite de contribuer à mieux faire connaitre l’art mystérieux de la gravure, somme toute peu exposée par les institutions et trop souvent ignorée du grand public.




1 Jean Delpech (1916-1988), prix de Rome en taille-douce 1948, a enseigne la gravure aux cours du soir de la Ville de Paris à Montparnasse, ainsi qu’à l’Ecole Polytechnique.


2 Première édition Fernand Nathan (1980), deuxième édition Philippe Lebaud (1991).


3 L’art visionnaire ne serait-il pas, comme cela a été proposé par Michèle Broutta il y a quelques années lors d’une exposition mémorable, l’au-dela du Surréalisme?


4 Sa formation a eu lieu dans un premier temps à l’Ecole des beaux-arts de Toulon, puis quelques temps à Paris au début des années 1960, avant d’intégrer l’Ecole nationale superieure des Beaux-arts de Paris, grâce à l’obtention de la première partie du prix de Rome. L’année scolaire 1965-66 sera consacrée à l’obtention du Grand prix de Rome qu’il remporte en juillet 1966 avec Elle se nomme la Clef des Songes, planche spectaculaire qui lui vaut l’unanimité du jury. Cette pièce peut être considérée comme “visionnaire” dans la mesure où la scène représentée - une femme d’âge mure au regard absent est assise sur un banc de bois dégrade suspendu très haut dans le ciel ; inconsciente, elle menace de basculer dans le vide à tout moment - est une vision fantastique.


5 La deuxième édition, conçue l’année de la disparition de Velly, lui est dédiée.


6 cf. www.velly.org/multimedia.html


7 le vent est un élément récurrant dans les planches de l’artiste


8 Entretien avec Jacques Le Maréchal, 1979, enregistré par Michel Random


9 La descente aux enfers est une image largement diffusée en alchimie, qui correspond à l’oeuvre au noir bien connu des mélancoliques.

l’Art Visionnaire de Jean-Pierre Velly

par Pierre Higonnet, mars 2012